Chapitre 4 : Hugo

 Hugo

 

Je m’appelle Hugo, et je suis ce qu’on appelle un “héritier”. Après plusieurs générations portées par des femmes au caractère bien trempé, me voilà – moi, un garçon – marqué par le destin pour reprendre le flambeau. Ma sœur jumelle Juliette est née quelques minutes avant moi, mais c’est moi que le défi a désigné. Un rôle que j’ai accepté… à ma façon.

 


J’ai grandi dans un foyer aimant, atypique et profondément humain. Ma mère Béryl communiquait avec les esprits. Elle vivait avec un pied dans le monde des vivants, l’autre dans celui des morts. Et pourtant, elle était la plus vivante de toutes. Katy, sa compagne, était son ancrage, son refuge. Ensemble, elles m’ont élevé avec tendresse, dans une maison pleine d’amour, de rires, de présences invisibles… et de gâteaux faits maison.

 

Ma vie a basculé quand j’ai rencontré Hana. Une policière brillante, franche, redoutable, qui a su voir en moi plus que le clown de service. Moi, l’humoriste idéaliste, elle, la femme d’action, on formait un duo improbable… mais solide. Ensemble, on a bâti notre vie : d’abord un petit nid, puis des projets, des nuits blanches, et très vite… Sohane, notre premier bébé.

 



Notre famille s’est agrandie vite : Salomé, ensuite Sacha, puis Sélène. Quatre filles. De l’amour, des disputes, des cris, de la fatigue, beaucoup de fatigue. Mais on tenait. Et puis est arrivée Safia, imprévue mais chérie. Et alors qu’on pensait la boucle bouclée, voilà que le destin nous a fait un clin d'œil : Sevan, mon fils. L’héritier. Un garçon après cinq filles. Je ne sais pas encore ce que le futur lui réserve, mais je sens que la boucle se referme doucement.

 





Mais la vie, ce n’est pas que les naissances.

 

Katy nous a quittés la première. Morte de vieillesse. Paisiblement. Elle s’est endormie une nuit dans son fauteuil préféré, entourée des chiens et de Béryl. Ce jour-là, j’ai vu ma mère s’éteindre un peu aussi. Elles avaient tout vécu ensemble. C’était la fin d’un amour, d’un chapitre. Béryl a vieilli d’un coup.

 

Puis Juliette, ma jumelle, est morte. Une stupide plante vache. Un accident bête. Une curiosité mal placée. Une erreur de minutage. Elle a voulu nourrir la créature… et elle n’a pas survécu. Son absence m’a creusé un vide que je n’arrive toujours pas à combler. On avait grandi côte à côte, on se comprenait sans parler. Sa mort m’a plongé dans un gouffre que ni Hana, ni mes enfants, n’ont pu combler.

 

À cette époque, ma santé mentale a flanché. Hana aussi a sombré. Le burn-out, les insomnies, les larmes qu’on cache aux enfants. On a connu la fatigue qui ronge, la culpabilité, le doute. Parfois on se regardait sans se reconnaître. On a tenu. Pas par miracle, mais par amour. Et parce qu’on avait six petits humains qui comptaient sur nous.

 


Heureusement, on a trouvé une maison mieux adaptée à notre tribu. On s’est relancés. Hana a atteint le sommet de sa carrière. Moi aussi, à ma manière. J’ai continué à faire rire, même quant à l’intérieur c’était gris.

 


Je suis un héritier, oui. Mais je suis surtout un père, un mari, un fils. Et un homme qui avance, un jour à la fois. Même dans une lignée marquée par les femmes, il faut bien un fou du roi pour ramener un peu de lumière.

 

Les tempêtes intérieures, celles qui ne se voient pas, nous ont mis à genoux plus d’une fois. Mais avec le temps, de la patience, et surtout un psychologue formidable, nous avons réussi à panser les plaies. Le dialogue est revenu, la sérénité aussi. J’ai appris à poser mes valises mentales et à respirer à nouveau. Hana aussi. Nous avons traversé cette période ensemble, comme toujours.

 

Le temps a passé. Salomé a quitté la maison à son tour, puis Sacha, Sélène, et enfin Safia, la petite tornade devenue jeune femme. Chacune a suivi son chemin, libre et forte. Et maintenant, il ne reste plus que nous deux… et Sevan.

 

Mais même Sevan a grandi. Il a rencontré Zahara Pancakes au lycée. Une jeune fille vive, intelligente, douce et audacieuse – tout ce qu’on pouvait espérer pour lui. Ils sont tombés amoureux et leur lien n’a fait que se renforcer au fil des années. Aujourd’hui, ils emménagent ensemble à Oasis Springs, dans une jolie petite maison ensoleillée, loin du tumulte, mais remplie de promesses.

 


Hana et moi, on les a regardés charger leur voiture avec un pincement au cœur… mais surtout le cœur plein de fierté. Nos enfants sont devenus des adultes merveilleux, chacun à leur manière. Nous avons fait de notre mieux. Et à voir ce qu’ils sont devenus, je crois qu’on ne s’en est pas trop mal sortis.

 

Nous avons décidé de vendre la grande maison. Elle est devenue trop vide, trop calme. Nous allons nous installer dans un petit cocon, juste pour nous deux. Hana prendra bientôt sa retraite, moi aussi. Fini les horaires de fous, les nuits blanches, les repas à huit. Ce sera le retour aux balades, aux petits-déjeuners sans enfants qui crient, aux soirées sans obligations. Comme au tout début.

 

Nous allons profiter de cette nouvelle vie, comme deux vieux amoureux qui ont traversé toutes les saisons. L’hiver de notre vie ne fait que commencer, mais il sera doux.

 


 


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