Les Amis


Sergio Romeo et Joaquin Le Chien se connaissaient depuis le lycée. Ils avaient très vite compris qu’ils étaient tous les deux gays, mais jamais l’un n’avait été attiré par l’autre. Leur relation s’était construite sur une grande amitié, faite de moqueries affectueuses, de soutien mutuel, et de chemins de vie radicalement différents.

Sergio, brillant et ambitieux, n’avait jamais caché son désir de réussir dans les hautes sphères de la tech. Joaquin, lui, avait toujours rêvé de musique et de liberté. Sergio le jugeait immature, trop entêté à poursuivre son rêve de DJ alors qu’il n’était pas particulièrement doué, selon lui.

Puis un jour, Joaquin invita Sergio dans une boîte de nuit. Il prétexta une "chose à faire", et Sergio comprit vite : son ami allait monter sur scène. Il s’était figé, prêt à partir pour éviter d’assister à ce qu’il pensait être un échec cuisant. Mais il avait eu tort. Dès les premières notes, Joaquin avait électrisé la salle. Le public dansait, réclamait, acclamait. Et Sergio, médusé, l’avait vu sous un autre jour.

Cette nuit-là, ils fêtèrent la réussite de Joaquin... et allèrent plus loin. Une nuit qu’ils ne mentionnèrent plus jamais. Au réveil, mal à l’aise, Sergio retourna à ses priorités — sa carrière. Joaquin comprit le message : il n’y aurait rien de plus.

Le temps passa. Beaucoup de temps. Ils s’installèrent ensemble au Repaire du Quai, sur l’Île Fragile, non comme un couple, mais comme des amis proches. Joaquin poursuivit sa carrière musicale, atteignant un succès notable dans la guitare et la composition. Sergio, quant à lui, grimpa les échelons de la tech jusqu’au niveau 8 de sa carrière de programmeur, dirigeant une start-up ambitieuse.

Mais une blessure persistait : Joaquin avait dû abandonner son rêve de DJ. Un scandale, survenu alors qu’il était au sommet, avait tout détruit. Une vidéo diffusée sans son consentement le montrait en train de simuler un set, tandis qu’un technicien révélait que tout était préenregistré. Bien qu’il ait été contraint à ces pratiques par son label pour suivre le rythme des tournées, l’image était restée : celle d’un imposteur. Sa crédibilité avait volé en éclats.

Aujourd’hui, Joaquin avait dépassé la quarantaine. Il avait réussi... en apparence. Mais il se sentait éteint. Il avait enterré ses sentiments pour Sergio il y a bien longtemps. Ce dernier, lui, semblait redécouvrir quelque chose. Plus le temps passait, plus ses regards devenaient longs. Trop longs.

Un soir, Sergio avait brisé le silence.

— Tu crois que… si on avait fait les choses autrement, toi et moi…

Joaquin n’avait pas eu besoin de réfléchir. Il avait été clair.

— Non, Sergio. C’est trop tard. Ce que j’ai ressenti, je l’ai enterré. Tu m’as rejeté une fois, et je suis passé à autre chose. Je ne veux plus que tu me regardes comme ça. Je ne peux pas te donner ce que j’ai arrêté de ressentir il y a plus de vingt ans.

Sergio s’était figé, mais il avait hoché la tête. Il comprenait. Trop tard, comme souvent.

Il avait repris ses vieilles habitudes : le travail, encore et toujours. Des nuits blanches à coder, des réunions, des objectifs, des livrables. C’était plus simple ainsi.

Mais Joaquin, lui, suffoquait. Plus les jours passaient, plus les regards discrets de Sergio lui pesaient. Malgré la mise au point, malgré les années, c’était là, dans l’air. Une tension qu’il ne voulait plus gérer.

Alors, un matin, il prit une décision.

Il fit ses valises.

Il quitta le Repaire du Quai.

Et s’installa à Chestnut Ridge.

Dès les premières secondes dans sa nouvelle maison, Joaquin sentit ses épaules s’abaisser. L’air semblait plus pur, plus léger. Pour la première fois depuis longtemps, il n’y avait plus de regards lourds de souvenirs, plus de silences chargés, plus d’anciens possibles qui rôdaient entre les murs. Juste lui, et un nouveau départ.

Il ne savait pas encore ce qu’il allait faire, ni où le mènerait cette nouvelle vie. Mais il savait une chose : il respirait à nouveau.






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