Famille Jang

Baako et Anaya avaient toujours rêvé de vivre dans le quartier des arts de San Myshuno. Pour Baako, c’était l’occasion de percer en tant que comédien, tandis qu’Anaya espérait y trouver la voie qui la mènerait vers sa carrière idéale : grande peintre ou peut-être même artiste multidisciplinaire.


Ils emménagèrent dans un petit loft au dernier
étage d’un immeuble ancien. La vue sur la ville était à couper le souffle, et
ils savaient que c’était là qu’ils devaient construire leur avenir. Leurs
voisins étaient des artistes, des écrivains, des musiciens, et même quelques
célébrités locales. Ils se sentaient enfin chez eux.

Mais c’était leur fille, Billie, qui apportait
la touche d’excentricité à leur vie. À peine arrivée, elle se lia d’amitié avec
tous les enfants du quartier. Elle débarquait chez les voisins sans être
invitée, entraînant des rires et des sourires partout où elle passait. Les
artistes l’adoraient, et elle était devenue la muse de plus d’un peintre.
Les premiers jours furent un tourbillon
d'activités. Baako commença à fréquenter les clubs de comédie de la ville,
participant à des soirées open-mic et rencontrant d'autres artistes. Il se
rendit vite compte que la concurrence était féroce, mais cela ne fit qu'attiser
sa détermination. Chaque soirée était une occasion de perfectionner son art, de
tester de nouvelles blagues et de gagner de nouveaux fans.
Anaya, de son côté, jonglait entre les
galeries d'art et les ateliers collectifs. Un soir, elle participait à une
exposition, et le lendemain, elle rejoignait un collectif d’artistes pour une
fresque murale. Cette double vie artistique l'épuisait mais la nourrissait
aussi d'une manière qu'elle n'avait jamais connue auparavant. Elle se faisait
de nouveaux amis, des artistes comme elle, et découvrait des facettes de son
talent qu'elle ignorait jusqu'alors.
Billie, quant à elle, n'avait pas perdu de
temps pour se faire des amis. Elle était devenue la coqueluche du quartier,
avec sa capacité à engager la conversation avec n'importe qui. Un après-midi,
elle décida de visiter les voisins sans y être invitée. Elle frappa à la porte
de Madame Garcia, une vieille dame qui vivait seule avec son chat. Bien que
surprise par l'arrivée impromptue de Billie, Madame Garcia ne tarda pas à
l'apprécier. Billie lui tenait compagnie, écoutait ses histoires et s'occupait
du chat. En retour, Madame Garcia lui apprit à tricoter et lui raconta des
anecdotes fascinantes sur l'histoire de San Myshuno.
Les mois passèrent et les Jang trouvèrent peu
à peu leur place à San Myshuno. Baako avait enfin décroché un contrat régulier
dans un théâtre local, devenant une figure montante de la scène comique de la
ville. Ses spectacles attiraient de plus en plus de monde, et il recevait des
offres pour des tournées à travers le pays.
Anaya, après des mois de réflexion et
d'expérimentation, réalisa que son véritable amour était la peinture. Ses
œuvres vibrantes et profondes attiraient l’attention des galeries, et elle
signa finalement avec un agent d’art indépendant qui l’aida à organiser sa
première grande exposition solo. Sa peinture, pleine de douceur et de force,
touchait les cœurs de tous ceux qui la contemplaient.
Un matin, Baako reçut une lettre. Elle était
écrite à la main, avec une encre noire légèrement fanée. L’expéditeur : Mathis,
son oncle.

"Mon cher Baako,
Si tu lis ces mots, c’est que j’ai quitté
cette vie avec un peu plus de paix que je ne l’aurais cru possible. Pas parce
que j’ai trouvé l’amour, ou connu une grande carrière, non… mais parce que j’ai
vu en toi, en Anaya et en Billie, ce que j’aurais aimé être.
Je n’ai jamais eu d’enfants. Pas parce que je
ne le voulais pas, mais parce que je n’ai pas su faire les bons choix. La femme
que j’aimais n’a jamais vraiment partagé mes sentiments. Elle m’a quitté, et
moi, je suis resté là, paralysé par la peur de recommencer, de croire à
nouveau. Je n’ai jamais eu le courage que vous avez eu, de croire en vos rêves,
de bâtir une vie à votre image.
Quand j’ai appris votre succès, j’ai souri
comme si j’en étais responsable. Comme si, quelque part, ma vie avait servi à
quelque chose : être le contre-exemple silencieux, l’avertissement muet.
Alors je vous laisse tout ce que j’ai. Ce
n’est pas grand-chose : une vieille maison que le temps a rongée, un compte en
banque que j’ai trop peu utilisé. Je vous dois bien cela. Je vous demande
seulement de ne pas m’oublier trop vite. Peut-être que dans un coin de cette
maison, il reste un peu de moi, une peinture que je n’ai jamais finie, un poème
griffonné, ou juste une empreinte de ce que j’aurais voulu devenir.
Pardonnez l’état du lieu. Cela fait des années
qu’il n’a pas vu la lumière autrement qu’à travers les volets fermés. La
poussière y a ses habitudes, les murs y soupirent. Mais peut-être, avec vous,
renaîtra-t-il.
Avec toute mon affection,
Ton oncle,
Mathis"
Baako décida d’y aller seul dans un premier
temps. Il voulait voir de ses propres yeux ce que son oncle lui avait légué.
Quand il arriva sur place, la maison se dressait là, solitaire au bord du
chemin pavé, avec sa façade grisée par le temps et ses volets clos comme des
paupières fatiguées. Les murs en bois étaient marqués par les années : des
éclats de peinture partis, quelques fissures, et cette mousse qui grimpait
comme pour l’étreindre.
Le jardin, autrefois ordonné, était maintenant une jungle en miniature. Des fleurs sauvages, des mauvaises herbes, mais aussi des plantes cultivées qui continuaient de fleurir, comme si elles attendaient le retour de quelqu’un. Sur la terrasse, une vieille boîte aux lettres penchait légèrement, et un pot de fleurs vide semblait guetter le vent.

Malgré l’abandon, il y avait une âme. Une
sensation étrange que chaque latte du plancher, chaque volet grinçant, gardait
un souvenir enfoui. Billie, en s’approchant, crut entendre un léger grincement
– peut-être un courant d’air… ou autre chose ?
Baako eut un frisson, mais posa la main sur la
rampe en bois. Elle craqua sous son poids, mais tint bon. “Bienvenue chez
nous…”, souffla-t-il, avec un sourire à moitié rassuré. Il était emballé. Il
voyait déjà le potentiel du lieu, le charme discret des maisons anciennes, et
les souvenirs qu’ils pourraient y construire. Maintenant, il ne lui restait
plus qu’à convaincre Anaya que cette maison abandonnée pouvait devenir leur
nouveau foyer.



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